Interview de Fanny GRABIAS, dans le cadre du projet de recherche « La judiciarisation de la santé »

ven, 07/16/2021 - 12:22 -- Nathalie ABSALON

Fanny GRABIAS, MCF à l'Université de Lille et membre associé à l'IRENEE a répondu à nos questions à l'occasion de la Newsletter #11 - Été 2021, pour nous présenter son projet de recherche « La judiciarisation de la santé ».
 

En quoi consiste ce projet de recherche ?

Il vise à interroger la réalité d’un phénomène encore largement décrié par les professionnels de santé en raison notamment de son impact sur leurs pratiques professionnelles : celui de l’importance (prétendument) croissante prise par le juge dans le domaine de la santé, sous l’effet conjugué d’une juridicisation de la matière (nombre élevé de règles encadrant notamment l’exercice de l’activité médicale) et d’un accès facilité au prétoire. Les professionnels de santé éprouvent en effet une tension quant au risque d’actions en justice et de condamnations qui peuvent en résulter (responsabilités pénale, civile, administrative et disciplinaire). Une étude statistique d’ampleur a été menée par l’Institut Droit et santé de l’Université Paris Descartes sur la période 1999-2009 et a montré que cette judiciarisation de la santé ne se vérifiait pas du point de vue des chiffres.
Pourtant, cette impression perdure et a d’ailleurs été confortée ces dix dernières années par un certain nombre d’évolutions juridiques en faveur des victimes (extension du champ personnel d’indemnisation, reconnaissance de nouveaux préjudices, extension de l’action de groupe au domaine de la santé, etc.) et quelques affaires grandement médiatiques, dont la plus connue reste l’affaire Lambert. La crise sanitaire actuelle a soulevé également des inquiétudes sur le plan juridique qui n’ont fait que le confirmer.

Ce projet de recherches a donc pour objet, sur la période 2011-2021, de mesurer et analyser la réalité du risque juridique ressenti par les professionnels de santé dans l’exercice de leur activité. Pour obtenir des résultats rapides, nous avons décidé de privilégier dans un premier temps une perspective régionale et de nous concentrer sur les données recueillies auprès des acteurs de la région Grand-Est (tribunaux judiciaires, tribunaux administratifs, Commission régionale de conciliation et d’indemnisation, Conseil régional de l’ordre des médecins ou des chirurgiens-dentistes, CHRU de Nancy et de Strasbourg).

L’approche retenue est à la fois quantitative (démarche statistique) et qualitative (analyse des fondements sur lesquels les recours sont engagés).
 

Avec qui travaillez-vous pour mener ce projet ?

Ce projet, porté par l’IRENEE, est mené en étroite collaboration avec l’IFG, sous ma direction scientifique ainsi que celle du Professeur Bruno PY. Le droit de la santé est en effet une discipline souvent rattachée au droit privé et qui est rarement abordée dans les recherches de droit public sous un angle autre que celui des droits et libertés fondamentaux. Pourtant, cette césure est purement artificielle : si l’on devait rattacher la matière à l’une des deux grandes disciplines, un esprit bien nourri trancherait très vite pour le droit public ! Blague à part, le projet est justement l’occasion de transcender un clivage qui n’a pas de raison d’être ici et de faire travailler ensemble tous les membres intéressés des deux laboratoires.

Par ailleurs, puisqu’il nécessite de recueillir un nombre important de données, il est mené en collaboration avec d’autres institutions clés sans lesquelles nous ne pourrions travailler (CCI-ONIAM, Conseil de l’ordre des médecins et des chirurgiens-dentistes, Tribunaux administratifs et judiciaires de la Région, notamment Nancy, etc.).
 

• Quelle valorisation envisagez-vous ?

Le projet est mené sur une durée de trois ans et sera valorisé par la tenue de plusieurs conférences / manifestations scientifiques. Une première journée d’études s’est tenue sur cette thématique en lien avec la crise sanitaire le 25 juin dernier (Judiciarisation de la santé et Covid-19). Les actes de cette journée seront publiés à la fin de l’année aux éditions Kairos.
En mars prochain, nous envisageons également de revenir en partie sur cette thématique dans le cadre d’un colloque consacré aux 20 ans de la loi Kouchner.
Enfin, la conclusion du projet sera restituée sous forme de rapport synthétique et donnera lieu à un colloque dont l’objet sera de porter plus loin la réflexion compte tenu des résultats obtenus.
 

Et au-delà de ce projet ?

Nous avons beaucoup d’idées à ce stade, sur lesquelles nous ne souhaitons pas lever immédiatement le secret pour éviter tout effet d’annonce. Mais il va de soi que le projet pourrait être étendu à une échelle interrégionale voire nationale.

Catégorie: 
Entretien

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