Interview de Laurent Seurot : Professeur de droit public à l'IRENEE depuis septembre 2019

mar, 10/08/2019 - 14:36 -- Nathalie ABSALON

Parcours
Je suis un pur produit de la faculté de droit de Nancy. J’y ai fait toutes mes études, depuis la première année, en 2004, jusqu’au doctorat, que j’ai obtenu en 2013. J’ai ensuite été qualifié aux fonctions de maître de conférences en droit public. N’ayant pas trouvé de poste à l’issue de mon premier « tour de France », je suis parti un an enseigner à la faculté de droit de Vannes, avant d’être recruté, à l’occasion de mon second tour de France, à la faculté de droit de Metz. J’ai alors passé le concours d’agrégation, à l’issue duquel, en 2016, j’ai été affecté à la faculté de droit de Besançon. J’y ai passé trois belles années avant d’être muté, à la rentrée 2019, à la faculté de droit de Nancy.

Pourquoi Nancy ?
Pour des raisons affectives d’abord : c’est ici que j’ai fait toutes mes études ; c’est donc ici que je voulais à mon tour transmettre. Par ailleurs, je connais la plupart des enseignants qui y sont affectés, soit que j’ai été leur étudiant il y a quelques années, soit que j’ai fait partie, un peu plus tard, de leurs équipes de travaux dirigés. Sans doute aussi parce que le fait d’avoir enseigné dans d’autres facultés m’a permis de prendre conscience de la chance d’être en poste à Nancy : les locaux sont magnifiques, les collections de la bibliothèque sont riches et les étudiants, nombreux, constituent un vivier pour les masters et le doctorat. Enfin, je suis très heureux de retrouver l’IRENEE, le laboratoire auquel j’appartenais lorsque je faisais ma thèse puis quand je suis devenu maître de conférences à Metz.

Pourquoi le droit administratif ?
Pourquoi le droit public plutôt que le droit privé, tout d’abord ? Par hasard, ou plutôt par couardise. Lorsque j’étais en séjour Erasmus au premier semestre de la troisième année de licence, mes camarades restés à Nancy m’avaient expliqué qu’il ne serait pas évident de suivre les cours de droit privé du second semestre parce qu’ils prolongeaient le plus souvent les enseignements du premier. Je les entendais parfois échanger sur le droit des sûretés, usant d’un vocabulaire qui me paraissait un peu trop ésotérique. Il n’en fallait pas plus pour m’impressionner. Je décidai donc de devenir publiciste, sans me douter que la complexité et les subtilités du droit public m’impressionneraient tout autant.
Quant au choix, ensuite, du droit administratif, c’est essentiellement une question de rencontres, notamment avec le Professeur Benoît Plessix et le Doyen Fabrice Gartner. C’est eux qui m’ont appris le droit administratif, qui m’ont appris à le trouver sympathique, et enfin à l’enseigner. Leur mérite n’est pas mince : le droit administratif est un compagnon de route exigeant. Il a son vocabulaire, utilise parfois les mêmes termes pour désigner des notions différentes et fait évoluer la consistance de ses notions sans toujours le dire explicitement. Surtout, il faut prendre ce qu’il dit avec précaution : il change souvent d’avis, nuance ses affirmations, dégage des exceptions, tout en faisant parfois croire qu’il avait toujours dit la même chose mais qu’on l’avait mal compris.

Si vous aviez un seul conseil à donner à nos doctorants, ce serait lequel ?
Je leur conseillerais de douter. Ce doute qui, comme l’écrit Abélard, « amène l’examen », lequel conduit à « la vérité ». Cela implique qu’il faut douter, d’une part, de ce que les autres ont écrit, surtout lorsqu’ils l’ont écrit il y a longtemps. Pas forcément parce qu’il se sont trompés. Et surtout pas par orgueil, cet orgueil qui voudrait parfois vous faire débuter votre thèse par cette formule : « ceux qui ont écrit sur cette question n’ont rien compris ; la vérité m’est apparue, je vous la livre ». Mais parce que ceux qui nous ont précédés n’ont pas forcément tout dit, parce qu’ils l’ont dit dans un certain contexte, lequel a évolué depuis, parce que les préoccupations d’alors n’étaient pas forcément les mêmes que celles d’aujourd’hui, etc. Aussi parce que les évolutions du droit et de la société font naître des questions nouvelles ou exigent de poser des questions classiques de manière différente. Cela signifie, d’autre part, que le doctorant, comme tout chercheur tout au long de sa carrière, doit douter de ce qu’il pense et écrit lui-même. Mais que l’on me comprenne bien : je parle de doute, pas de pusillanimité. Car bien sûr, avant de prendre la plume ou de tapoter sur le clavier, il faut avoir quelque chose à dire, une construction à proposer, une idée à défendre. Je parle donc du doute qui s’oppose à la certitude, du doute qui oblige à vérifier ses sources, à mettre ses idées à l’épreuve, quitte à les nuancer ou à en reconnaître les limites. Il n’y a là rien d’autre que l’idée de « juste milieu » que nous a léguée Aristote. Il enseignait, dans l’Éthique à Nicomaque, que toute vertu (le courage par exemple) se situe entre deux vices, l’un par défaut (la lâcheté, le lâche étant celui qui fuit devant le danger), l’autre par excès (la témérité, le téméraire étant celui qui fuit après avoir imité le courageux, lequel est le seul qui « tient bon »). De la même manière, le savoir qu’il faut chercher à obtenir se situe, me semble-t-il, quelque part entre ces deux extrêmes que sont l’ignorance et la certitude.

Catégorie: 
Entretien

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