En quoi consiste ce projet de recherches ?
Il porte sur l'usage d'internet en vue de l'expression et de l'action politiques. L'engagement politique numérique prend diverses formes : diffusion de positions de candidats et d'articles de presse, commentaires/  interventions sur des pages politiques de réseaux sociaux ou de médias, (auto)-publication, affichage de soutiens politiques sur les comptes personnels… Mes collègues Th. CHOFFAT, A. JADOT, R. MATHIEU, L. OLIVIER et moi-même nous intéressons plus spécifiquement à l'engagement lors des campagnes électorales, notamment l'élection présidentielle, le scrutin français le plus mobilisateur. Deux grandes questions guident la recherche :
- Comment des personnes en viennent-elles à s'engager politiquement en ligne ? Il s'agit ici d'articuler des études qui montrent que les internautes engagés sont des "militants comme les autres" ; et des travaux qui avancent qu'une sensibilité aux cultures numériques caractérise les personnes qui s'engagent numériquement.
- Peut-on parler d'une baisse du coût de l'engagement politique avec le numérique ? Cette question renvoie à l'idée souvent véhiculée selon laquelle l'engagement numérique serait très confortable … Quoi de plus facile qu'un Like Facebook ou un propos ironique dans une discussion en ligne ? Nous avons au contraire essayé de repérer les "coûts" de l'engagement en ligne, notamment en termes d'exposition de soi, quand des prises de position plus ou moins publiques peuvent avoir des répercussions pour la personne concernée.

 

Que nous apprend l'étude qui a été menée ?

L'étude a été menée par entretiens semi-directifs approfondis (1h30 en moyenne) auprès de 43 internautes de différentes tendances politiques.
Leur profil diffère assez peu de celui des autres militants de parti. Une majorité des enquêtés a eu des parents politisés et des discussions politiques dès l’enfance. Une partie significative des enquêtés vient de familles où un parent ou grand-parent était élu.e (7/43). Une grande majorité n'a en outre que des usages non-spécialisés du web et des réseaux sociaux, et pas de formation spécifique dans ce domaine. Autrement dit, l'engagement sur le web s'est banalisé. Cependant, une minorité d'enquêtés est issue des milieux professionnels de l'informatique, ou a développé une sensibilité au numérique par la pratique précoce des jeux vidéos.
L'engagement en ligne est, pour la plupart des enquêté.e.s, un moyen d'action supplémentaire, qui ne les empêche pas par ailleurs de militer sur le terrain en faisant du tractage, en organisant des événements de campagne, en participant à des réunions… On ne peut donc pas dire que militer sur internet isole politiquement. Cela ouvre même des possibilités d'action qui n'existeraient pas sans les réseaux.
Mais cet engagement est aussi très coûteux, d'abord en temps et en énergie, car intervenir sur Twitter ou Facebook suppose de s'investir de façon régulière. Ensuite en termes relationnels, car à moins d'utiliser un pseudonyme, les personnes concernées peuvent être amenées à exposer leurs positions politiques à leur entourage familial, amical et professionnel, ce qui génère parfois des tensions. Et enfin, il confronte à la solitude, car derrière son écran, on n'est plus protégé par le "capital collectif" de l'organisation ; la conflictualité des échanges en ligne est souvent relevée. Mais ce dernier point est à nuancer dans la mesure où les internautes trouvent aussi de la solidarité et de la camaraderie au sein des groupes en ligne.

 

Quelle est la valorisation envisagée des résultats ?

Comme les derniers entretiens ont été réalisés en novembre 2019, l'exploitation des données n'est pas terminée. Les résultats sont surtout présentés dans des colloques, par exemple celui de l'IRENEE sur le "Vivre ensemble" en 2019 ou le congrès de la société québécoise de science politique en 2020, puis feront l'objet d'une publication.
Parallèlement, ce projet participera, ainsi que 6 autres projets de recherches de l'Université de Lorraine, au projet d'illustrations grand format "Cherche & Recherche" qui sera présenté lors de la Fête de la Science en octobre 2O2O, à l'initiative de la Direction de la Vie Universitaire et de la Culture de l'Université de Lorraine suite à la volonté du Ministère de la Culture de marquer l’année 2020 : année de la bande-dessinée.

 

Et après ?... Quelle suite sera donnée à ce projet ou un autre projet ?

Ce projet est déjà une suite du projet ANR-FQRSC franco-québécois en politique.com, réalisé à l'IRENEE et qui portait sur la campagne de 2012. Dix des personnes rencontrées dans le cadre du projet "citoyen.ne.s connecté.e.s" avaient participé à ce premier projet. Nous avons pu constater un désengagement massif entre les deux élections présidentielles, ce qui constitue un autre résultat de notre étude : les personnes engagées numériquement alternent entre engagement et désengagement, elles ont un rapport assez relâché à l'organisation partisane et sont plutôt attachées à un candidat.
En 2022, nous souhaitons si possible revoir les mêmes personnes, de manière à étudier des "trajectoires d'engagement numérique" sur la durée. En effet, la conjoncture de 2017 était très particulière, avec l'émergence de En Marche/La République en Marche et la France insoumise et le réalignement d'une partie des électeurs du PS et de LR. Cela a poussé au désengagement d'une partie des militants. Dans un contexte politique qui sera peut-être davantage stabilisé en 2022, la situation sera peut-être différente.