Interview de Johanna Noël.
Quel est son parcours et quels champs d’études ont-ils influencés sa réflexion ?
Johanna Noël est titulaire d’un master 2 Droit Public et Sciences politiques obtenu en 2012 à l’Université de Lorraine, à la faculté de Droit, Sciences Économiques et Gestion de Nancy. Elle a poursuivi sa thèse au laboratoire IRENEE, qu’elle a soutenue en décembre 2017. En 2019 elle est nommée au titre de MCF à l’IAE School of Management. Dans une démarche inter-disciplinaire, le droit n’a pas été le seul objet de ses recherches. Lors de sa thèse relative à la césure interprétative entre le juge et la doctrine, elle se concentre sur la linguistique en étudiant les concepts de dialogue, mais surtout de dialogisme. Elle rappelle qu’aucun discours ne peut être monologique : tout discours juridique se crée à la lumière d’autres voix en devenant lui-même le support des discours futurs. Cette idée permet de penser l’interprétation juridique comme le fruit des interactions entre une pluralité d’acteurs, notamment entre le juge et la doctrine.
Auteure d’une thèse exposant une césure entre l’interprétation du juge et du discours doctrinal, quelle idée apporte-t-elle ? Et pourquoi devenir enseignant-chercheur ?
L’interprétation normative du juge, est communément opposée à l’interprétation descriptive de la doctrine. Johanna Noël relativise cette conception en soulignant le rôle normatif de la doctrine. En ce sens, elle propose le concept de pending law : celui-ci invite à admettre que la doctrine serait créatrice d’un droit en attente d’être réceptionné par les autorités habilitées. Ses travaux ne sont pas exempts de parti pris : la doctrine doit être active et devrait anticiper les réformes car plus d’acteurs interviennent dans la création du droit, plus sa légitimité est grande. La volonté d’entreprendre une carrière d’enseignant-chercheur repose d’une part sur un attrait originel pour l’enseignement, où elle y voit un synonyme de transmission et d’accomplissement. D’autre part, elle conçoit la recherche comme la perspective d’en apprendre toujours davantage.
Comment considère-t-elle le travail doctrinal ? Quel est son projet au sein de l’institut ?
« La recherche en droit demande un effort de patience et de méticulosité », dit-elle. L’évolution perpétuelle d’un point initial sur plusieurs années est une activité intense, où certains jours en demi-teintes sont dégelés par l’intuition d’une idée nouvelle, assume Johanna Noël. Que la veille scientifique confirme sa réflexion ou non, elle a été indispensable au bon déroulement de sa recherche. Membre permanent en septembre 2019 au sein du laboratoire IRENEE, elle compte notamment s’inscrire dans l’axe d’étude sur le rôle du juge, de l’efficacité de la justice et de sa légitimité, dans la continuité interdisciplinaire de sa thèse.
En 2016 est publié l’ouvrage Féminisme(s) et droit public aux éditions PUN, auquel la docteure a contribué et co-dirigé. Quel regard pose-t-elle sur la place des femmes au sein du droit ?
Le droit s’illustre comme un outil d’émancipation, ce fait est admis par Johanna Noël. Toutefois, la force de cet outil peut aussi s’analyser comme un frein, tel que le montre l’actualité juridique en Alabama sur le vote d’une loi interdisant l’avortement. Ayant étudiée Catherine Mac Kinnon, théoricienne féministe radicale et avocate engagée dans les droits humains et l’égalité des sexes, Johanna Noël considère, avec elle, que le corpus législatif relatif aux femmes est parfois établi à la lumière d’un point de vue qui leur échappe. Selon Johanna Noël, l’égalité ne peut être atteinte par une simple réglementation en faveur de la parité homme-femme. Les mobilisations sociales sont les indispensables corolaires du droit, explique-t-elle, comme le démontre #MeToo.
Propos recueillis par Nesrine Madaci, étudiante en L2 de droit, stagiaire en juillet 2019 au sein de l'IRENEE.